C’est assez triste en fin de compte : de sortir, comme cela, d’une salle où l’on a bien senti, pendant une bonne partie de ce qu’on vient de voir, que l’on avait lâché la chose. Ou bien l’inverse, et c’est encore plus triste oui : sentir que c’est peut-être la chose elle-même qui nous a laissés derrière elle. On l’attendait un peu, en plus ; on s’excitait peut-être ; car, sans dévoiler le secret de fabrication de la nouvelle création d’Olivier Py, on peut dire qu’on savait en effet une chose : que “ça tournait”. Mais il n’y avait pas que cela sans doute. Peut-être que l’on s’enthousiasmait un peu trop à l’idée de passer un grand moment de théâtre avec l’une des têtes phares de la scène d’aujourd’hui ; oui, un directeur de l’Odéon s’attaquant à Claudel et aux Grimm ne pouvait que nous inviter à venir le voir de plus près. Et puis il y a eu Saturne.
Il y a eu cette interminable représentation prétentieuse et artificielle. A Olivier Py, on ne reprochera ni la longueur de sa pièce, ni son ambition générale, ni les moyens mis à sa disposition ; là n’est pas le problème : nous pouvons aimer une longue pièce voulant les choses en grand ; mais il est triste, là encore, qu’un spectacteur sente passer sur lui le rouleau de deux heures et demie d’un théâtre dit moderne, quand ce théâtre voulu grandiose se montre soutenu d’une telle aide matérielle et par un tel travail dont on ne douterait pas. Ce théâtre-là offre de grandes images ; disons-le, car ce qui nous passe sous les yeux est souvent très fort : on a des visions, et des belles ; certes. Mais disons également que des tableaux réussis peuvent ne pas suffire quand on attend d’une pièce un grand souffle, une émotion, une subtilité peut-être. Par la lourdeur pathétique de l’ensemble, Les Enfants de Saturne se révèle à des lieues de toute densité, de toute poésie que cette pièce aurait pu pourtant nous apporter. Car cela aussi est regrettable : assister à de belles possibilités toujours mises à mal et vite tombées à l’eau.
Peut-être n'est-ce qu'une question de sensibilité : aimer le peu de mots, la recherche de ceux qu'il faut et non le déversement de tous ; aimer même les silences du théâtre, et penser que peut-être, l'inceste, puisqu'il s'agit de cela, peut se dire dans ce silence.
Mais cela n’en finit pas, tout de même, de grandiloquence pompière ; Olivier Py étale une culture livresque, nous badigeonne de mythes, de Bible, de société moderne, dans une grande démonstration scolaire, avec de grands mots qui auraient pu être servis et polis par une once de distance, d’ironie - c’est trop demander. Est-ce cela, le théâtre ? Cris, râles ? Amoncellements de métaphores qu’on n’écoute plus ? On nous dira qu’il faut passer sur le texte et rentrer dans ce nouvel univers où mythologie et monde contemporain font la noce. Hélas, ici, plus il y a le texte, plus il y a la parole, plus le vide se fait ; à force de se vouloir remplie d’absolument tout, la pièce se condamne à tourner sans que l’on sache pourquoi. Et étrangement, assez terriblement en fait, le meilleur passage de ce faux océan déchaîné pourrait bien être cet unique instant de silence, où deux personnages mangent une moitié de biscuit, juchés sur une baleine sous un parapluie, et tout drôles, forts, comme étonnés, eux aussi, qu’enfin cesse, pour une minute, le gueuloir de cette parole qui veut toujours occuper le terrain et donner sens. La scénographie originale, et surtout pensée, elle aussi ne semble, peu à peu, ne tourner que pour elle-même et pour sa performance. Les acteurs, quant à eux, semblent plaider leur propre cause et ne servir que leur seul intérêt. La troupe de Py réjouit par les hautes voix, les faces, les corps qu’on y rencontre ; mais ce n’est jamais assez pour tirer vers le haut ce qu’il y a autour d’elle, et qui sape vite toute sa force. Bourré à ras-bord de signes et de références, le texte s’enferme sur lui-même, sans jamais tendre les bras. Olivier Py se fait-il plaisir ? Il veut en tout cas tout mettre dans sa recette, et on aimerait sortir de la cuisine. Un nazillon débarque on ne sait d’où ni pourquoi. Et tout continue comme cela : sans que rien n’avance, tandis que la pièce veut atteindre des sommets, parlant de l’existence sans nous faire vivre, sans nous faire atteindre cette rupture avec le monde d'autour, celui de nos télévisions ; rupture dont Olivier Py lui-même se veut le garant, et qui n'a pas eu l'occasion, ce soir-là, à se creuser en moi.